par Isabel de Saint-Malo de Alvarado, Vice-présidente et Ministre des affaires étrangères du Panama.

Le scandale, injustement connu sous le nom de « Panama Papers » a éclaté sur la scène internationale la semaine dernière, braquant les projecteurs sur les méandres de la cupidité des riches de ce monde. Cette fuite de documents piratés illégalement, relatifs aux soi-disant sociétés «offshore» ayant des liens avec des personnalités riches et célèbres, a secoué le monde avec des révélations montrant jusqu’où certains peuvent aller afin de cacher leur fortune. Comme les documents publiés jusqu’ici l’ont montré, l’évasion fiscale est un problème global auquel aucune nation n’échappe, pas même la France. C’est la raison pour laquelle le Panama estime que seule une approche reposant sur la coopération et la diplomatie peut permettre d’établir une transparence judiciaire et financière au niveau mondial.

Cela ne veut pas dire que chaque pays ne devrait pas jouer son rôle. Chaque nation – y compris le Panama – peut et doit renforcer son système financier, afin de minimiser le risque de détournement. Mais quand il s’agit de relever les défis systémiques de l’évasion fiscale, qui prive les contribuables de 200 milliards de dollars chaque année, l’unilatéralisme n’est évidemment pas la bonne solution.

Les 11 millions de documents contenus dans la fuite montrent que la majorité des sociétés créées par le cabinet d’avocats panaméen Mossack Fonseca sont en réalité basées dans d’autres pays. Le Panama occupe une meilleure place dans la dernière édition du classement annuel établi par l’ONG Tax Justice Network que de nombreux pays, dont certains membres de l’OCDE, en ce qui concerne la transparence financière.

Voilà pourquoi la diplomatie et la communication sont essentielles à ce stade, et non les menaces et les sanctions. À cette fin, le gouvernement du Panama a ouvert un dialogue productif avec de hauts responsables français, dont le président Hollande, pour discuter des mesures concrètes à entreprendre dans le but d’assurer une meilleure collaboration, ainsi que la mise en œuvre d’une convention fiscale bilatérale France-Panama plus efficace.

Le Président du Panama, Juan Carlos Varela, a constitué une commission d’experts indépendants pour évaluer notre système financier, déterminer les meilleures pratiques, et recommander des mesures spécifiques visant à renforcer la transparence financière et judiciaire mondiale. Nous attendons leurs conclusions dans les six prochains mois, et nous les communiquerons à d’autres pays.

Ces étapes suivent une série de réformes au Panama visant à promouvoir une plus grande transparence financière. Depuis son entrée en fonctions en 2014, le président Varela a mis en place de nouvelles réglementations dites «Connaissez votre client» et a établi un réseau de conventions fiscales solide qui permet l’échange d’informations légales sur les entreprises. De plus, nous nous sommes engagés à la certification obligatoire des identités des actionnaires de chaque société, à conclure de nouveaux accords internationaux de partage de l’information, et à mettre en œuvre des règlements plus stricts pour les fournisseurs de services financiers ainsi que pour les principales entreprises non financières.

Ces réformes ont été reconnues et validées par la communauté internationale, y compris par le Groupe d’action financière sur le blanchiment de capitaux, qui a cité les « progrès significatifs » du Panama dans la lutte contre le blanchiment de capitaux [dont sont membres les principales puissances économiques], qui a cité les « progrès significatifs » du Panama dans la lutte contre le blanchiment de capitaux lorsqu’il nous a enlevé de sa «liste grise » au cours de l’année. Ce retrait a eu lieu en un temps record. Nous avons également progressé de façon positive dans un examen conduit et commandité par le Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE).

Et pourtant, les «Panama Papers» sont plus qu’un abus de langage. L’affaire a été injustement relayée dans les médias comme un scandale impliquant des structures d’entreprises « offshore ». En tant que centre d’affaires international, le Panama traite toutes les sociétés de manière identique. L’idée que le Panama est un « paradis fiscal » pour les sociétés internationales provient du fait que seuls les revenus générés au Panama, sans tenir compte de ceux gagnés à l’étranger, y sont imposés. Cependant, toutes les transactions au Panama sont imposables en vertu des lois des juridictions concernées. Notre gouvernement a renforcé ces lois en imposant de nouvelles règlementations, mais ces politiques peuvent encore être détournées à des fins illicites.

Le Panama est résolu à adopter toutes les réformes de transparence financière nécessaires à la satisfaction de la communauté internationale. Le gouvernement du Panama a annoncé son engagement à l’échange automatique d’informations financières, et nous avons proposé des procédures que nous estimons correspondre aux objectifs de la communauté internationale, y compris l’OCDE.

En outre, le Panama poursuivra sa coopération avec la France et les autres juridictions afin d’engager des poursuites en cas d’infraction du code pénal panaméen, tout comme il continuera à respecter les nombreux traités internationaux que nos partenaires du monde entier ont ratifié avec la République du Panama. Nous réitérons également notre volonté d’engager un dialogue avec l’OCDE et son Forum mondial en ce qui concerne la signature d’accords de transparence financière qui peuvent favoriser le développement économique de nos pays.

Bien que nous reconnaissions que ces réformes signifient peu jusqu’à ce qu’elles soient mises en œuvre et appliquées, il ne faut pas oublier qu’après avoir été gouverné par une dictature durant des années, le Panama est aujourd’hui une démocratie stable. Grâce à nos efforts pour transformer notre pays en un pôle économique de premier plan, plus de 100 sociétés transnationales y ont implanté leurs sièges régionaux. Nous espérons que, grâce à nos efforts de réforme et à une coopération internationale accrue, notre pays deviendra encore plus attrayant pour les entreprises multinationales qui cherchent à agir en citoyens du monde responsables.

Le Président Hollande, dans un discours en 2013, a promis une « lutte acharnée » contre la criminalité financière. Le Panama se présente comme un partenaire prêt à mener ce combat. L’évasion fiscale est un crime commis par des personnes privées et elle dépouille les pays développés comme les pays en développement des ressources nécessaires pour la santé, l’éducation et les infrastructures.

La République du Panama, étant elle-même un pays en développement, refuse de laisser une telle activité se poursuivre. Toutefois, nous reconnaissons les limites de ce que nous pouvons faire seuls. La lutte acharnée pour une plus grande transparence financière mondiale doit être collective.

Publié dans Le Monde du 15 avril 2016